L’ostéo-odonto-kératoprothèse (OOKP) est une intervention chirurgicale complexe. Elle redonne la vue à certains patients aveugles pour qui aucune autre greffe de cornée ne fonctionne. Peu connue du grand public, cette technique repose sur une idée surprenante : implanter une dent dans l’œil.
La prouesse de l’ostéo-odonto-kératoprothèse (OOKP)
L’OOKP est utilisée en dernier recours, quand toutes les autres options thérapeutiques échouent. Elle concerne surtout des patients atteints de pathologies sévères de la surface oculaire, souvent bilatérales, comme le syndrome de Stevens-Johnson, le pemphigoïde oculaire cicatriciel ou les brûlures chimiques profondes.
Cette chirurgie rare, coûteuse et réservée à quelques centres spécialisés dans le monde, s’appuie sur une approche multidisciplinaire. Elle mobilise chirurgiens maxillo-faciaux, ophtalmologistes, anesthésistes et rééducateurs visuels.
Une idée née au XXe siècle
La technique a été inventée en Italie dans les années 1960 par Benedetto Strampelli, un ophtalmologiste avant-gardiste. Il a imaginé greffer une prothèse optique dans un morceau de dent et d’os du patient, afin que celle-ci soit mieux tolérée par l’organisme. La version modernisée, appelée OOKP modifiée ou version de Falcinelli, est encore utilisée aujourd’hui.
Cette méthode repose sur un principe biomécanique : le tissu dentaire, une fois vascularisé dans la joue pendant plusieurs mois, devient un support vivant capable de porter une lentille optique en acrylique. Cette lentille guide la lumière à travers la cornée opacifiée et jusqu’à la rétine.
Les étapes d’une chirurgie en deux temps
La procédure OOKP se déroule en plusieurs phases, souvent espacées de plusieurs mois.
Phase 1 – Préparation des greffons et adaptation tissulaire
Le chirurgien extrait une dent (généralement une canine) du patient, ainsi qu’un segment d’os alvéolaire. Ce bloc est sculpté pour accueillir une petite lentille cylindrique. Le tout est implanté dans une poche sous la peau de la joue (ou parfois dans le muscle pectoral) pendant deux à trois mois. Pendant ce temps, la structure s’intègre et développe une vascularisation.
Parallèlement, l’œil est préparé. La cornée malade est enlevée, ainsi que l’iris et le cristallin si nécessaire. Une greffe muqueuse buccale est placée sur la surface oculaire pour assurer un revêtement stable.
Phase 2 – Implantation oculaire
Une fois le greffon stabilisé, il est extrait de la joue et greffé dans l’œil. Le cylindre optique est positionné au centre. Le chirurgien fixe ensuite le complexe dentaire sur l’œil, recouvre l’ensemble avec la muqueuse buccale et laisse émerger l’optique par une petite ouverture centrale.
Le résultat donne un aspect inhabituel : une lentille transparente dépasse au centre d’un œil recouvert de muqueuse rose. Ce n’est pas esthétique, mais l’objectif n’est pas cosmétique : il s’agit de restaurer une fonction visuelle.
Des résultats visuels souvent spectaculaires
L’OOKP permet, dans plus de 70 % des cas, une récupération visuelle supérieure à 1/10e. Certains patients retrouvent une vision utile pour lire, reconnaître les visages, se déplacer sans aide. Le potentiel dépend toutefois de l’intégrité de la rétine et du nerf optique, qui ne sont pas corrigés par l’intervention.
À titre d’exemple, des patients aveugles depuis plusieurs années ont pu reprendre une activité professionnelle ou regagner une autonomie de déplacement après cette chirurgie. Ces résultats transforment radicalement la vie des personnes concernées.
Mais la procédure reste risquée. Elle exige un suivi à vie, car des complications peuvent survenir à tout moment : décollement du greffon, infection, extrusion de la lentille, résorption osseuse, glaucome sévère, voire perte de l’œil.
La technique de l’OOKP, marginale mais irremplaçable
En 2025, l’OOKP demeure une technique marginale. Moins d’une dizaine de centres dans le monde la pratiquent : Londres (Moorfields), Rome (San Camillo), Los Angeles (UCLA), ou encore Chennai (Aravind Eye Hospital). En France, quelques hôpitaux universitaires s’y intéressent, notamment à Paris et Lyon.
Voir aussi: Pourquoi de nombreux français choisissent de refaire leurs dents à Dubaï
Cette chirurgie est destinée à une population très restreinte, souvent moins de 1 % des patients aveugles. Pourtant, elle reste sans équivalent. Ni les implants cornéens synthétiques comme la KPro de Boston, ni les greffes classiques ne permettent une tolérance aussi durable chez ces patients à forte inflammation.
Le coût de l’intervention est élevé, souvent supérieur à 50 000 €, sans compter le suivi et les hospitalisations associées. Mais pour les bénéficiaires, cela représente un espoir unique.
Recherche et améliorations technologiques
L’OOKP n’a pas connu de révolution majeure depuis la version Falcinelli, mais la recherche progresse. De nouveaux matériaux biocompatibles sont testés pour remplacer la dent, en particulier pour les patients édentés. Des alternatives en polymères ou en céramiques biologiques sont en cours de validation.
La robotique chirurgicale pourrait aussi jouer un rôle dans la précision de l’implantation, de même que les techniques d’imagerie 3D pour planifier les gestes sur mesure.
Des travaux explorent également la reconstruction de cornée par bio-impression, la culture de cellules souches limbiques ou les implants rétiniens électroniques. Mais pour les cas les plus sévères, seule l’OOKP offre une solution immédiate et robuste.
Une chirurgie qui soulève des débats éthiques
Certaines voix s’élèvent contre la technicité extrême de l’OOKP. Elles questionnent la priorité donnée à la performance visuelle au détriment de l’esthétique ou de la qualité de vie globale. D’autres insistent sur la nécessité d’un consentement éclairé, face aux risques et à l’impact psychologique d’un œil modifié.
Mais la majorité des patients acceptent ces compromis. L’envie de retrouver la vue l’emporte. La dimension symbolique est forte : redonner la lumière là où tout semblait irrémédiablement perdu.
Une renaissance par l’œil
L’ostéo-odonto-kératoprothèse incarne la résilience de la médecine. Mélange de chirurgie dentaire et ophtalmologique, elle fait appel à des savoir-faire anciens pour une vision artificielle durable. Elle s’adresse à une poignée de patients, mais elle offre un message universel : quand la science s’acharne, elle peut redonner la vue même à ceux que la médecine avait abandonnés.
Malgré ses limites, l’OOKP mérite sa place dans l’arsenal thérapeutique de la cécité sévère. Elle montre que parfois, la dent peut devenir la clé de la lumière.